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07 mars 2019

Ne cédons pas aux sirènes de l’auto-entrepreneuriat

Une correctrice d'édition, TAD et syndiquée, appelle à la vigilance quant aux recours à l'auto-entrepreneuriat dans l'édition, pour les travaux de correction, mais pas seulement. Derrière cette illusion d'indépendance, un rapport de subordination toujours là et encore plus sauvage, tremplin vers le dumping social. 

Tout le monde le sait, le dit ou l’écrit : le régime de l’auto-entrepreneuriat n’est indolore que s’il est adossé au salariat ― on peut lire par exemple sur ce sujet les deux ouvrages suivants : Moi, petite entreprise. Les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité, de Sarah Abdelnour, et Ma Vie d’auto-entrepreneur. Pas vraiment patron, complètement tâcheron, de Sophie Vouteau.

Par « indolore », je veux dire que l’auto-entrepreneur, s’il est salarié par ailleurs, continue de bénéficier d’une protection sociale véritable, de congés payés, etc. ― je ne parle pas des tracasseries administratives occasionnées par l’entrée dans ce régime, des démarches censées être simples mais qui ne le sont pas tant que ça en réalité ― au dire des deux ouvrages précités.

Faux indépendants, vrais subordonnés…

Il suffit donc d’avoir un CDI, à tout le moins un CDD assez long, pour se lancer sans dommage dans l’auto-entrepreneuriat. Ce qui donne accès, dans le secteur de l’édition et de la presse en tout cas ― mais sans doute en va-t-il de même pour tous les secteurs de l’économie  ―, à un nombre incroyablement plus  grand de propositions de travail. Quelques bémols, bien sûr, et non des moindres : on découvre que le donneur d’ouvrage, censé être un client dans cette nouvelle configuration, impose ses tarifs et ses conditions de réalisation de l’ouvrage au prestataire (en fait, un auto-entrepreneur n’est le patron que de lui-même !). Et, souvent, dans l’édition du moins, ce tarif est très bas. Certains éditeurs peu scrupuleux ne se donnent d’ailleurs même pas la peine de majorer leurs tarifs quand ils exigent de leurs collaborateurs qu’ils aient le statut d’auto-entrepreneur, alors que ces derniers payent des charges à leur place.

Un constat qui appelle deux remarques :

- s’agissant des donneurs d’ouvrage, cette pratique est déloyale vis-à-vis des quelques éditeurs corrects qui continuent de salarier leurs correcteurs et de s’acquitter consciencieusement de leurs charges patronales. Rappelons en effet qu’un TAD payé, par exemple, 13 € brut de l’heure (8,33 et CP compris) coûte à son employeur 18,98 € de l’heure (salaire brut + 46 % de charges) ; une maison d’édition qui ne traite qu’avec des correcteurs en free lance devrait donc les payer au moins 20 € de l’heure pour ne pas nuire à ses consœurs vertueuses ;

- s’agissant des correcteurs, l’acceptation de cette pratique crée un réel préjudice à ceux qui ne bénéficient pas du fameux sésame pour des droits sociaux pleins et entiers : un emploi salarié. Un correcteur TAD, salarié donc, qui accepte par ailleurs un travail sous statut d’auto-entrepreneur avec un tarif imposé de 14 €/heure, crée un précédent : ses confrères uniquement micro-entrepreneurs ne pourront pas exiger plus, ce qui, pour eux, se traduira par un gain de 7 €/heure net.

Combattons le dumping social

Alors, de grâce, ne cédons pas aux sirènes de l’auto-entrepreneuriat. Ne raisonnons pas individuellement en nous disant : « Ce n’est pas grave si j’accepte un boulot en free lance sans en discuter le prix, ça ne changera rien pour moi, je ne perdrai pas mes droits sociaux » car, ce faisant, on précarise encore plus ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un pied dans le salariat et on cautionne cette pratique qui risque de rapidement faire tâche d’huile. Les donneurs d’ouvrage imposant ce régime sans vergogne n’auront de cesse en effet de faire du dumping social, c’est-à-dire de fixer des prix toujours plus bas. Quant aux quelques donneurs d’ouvrage encore vertueux, ils ne le resteront pas longtemps…

À tout le moins, refusons que le donneur d’ouvrage continue de se comporter comme un employeur avec son prestataire de service : c’est à ce dernier et à lui seul de fixer son prix, lequel prix doit nécessairement tenir compte des charges qu’il aura à payer en tant qu’auto-entrepreneur ― les charges officielles (23 % aujourd’hui), mais aussi et surtout celles qu’il aura à provisionner pour se payer des congés payés, une assurance, une retraite à taux plein, une mutuelle, ses frais d’atelier, etc. Il faut en effet garder à l’esprit que l’on ne récupère que la moitié de ce que l’on facture. D’où l’importance pour tout le monde, que l’on soit ou non auto-entrepreneur occasionnel, de ne pas facturer en dessous de 25 ou 26 euros de l’heure. Un tarif horaire de 30 euros ne serait pas non plus déraisonnable au vu des substantiels avantages que le régime de l’auto-entrepreneuriat confère au donneur d’ouvrage : ce dernier ne paie pas les charges patronales, il n’a pas à éditer de bulletin de salaire, il n’a pas à payer les frais d’atelier ni les frais de mutuelle ; il n’a pas non plus à compléter les IJSS en cas de maladie ; pas de treizième mois, d’ancienneté, de participation aux résultats de l’entreprise à verser ; pas de formation à payer, de clause évaluative à fixer, d’entretiens à organiser, de frais postaux ou de frais de transport à rembourser… Ah j’oubliais : pas non plus d’indemnités de licenciement et de retraite à verser ! Donc, non, vraiment, qu’un donneur d’ouvrage débourse 30 euros de l’heure pour des travaux dont il exige qu’ils soient facturés ne serait pas cher payé…

Alors ne facilitons pas la tâche aux employeurs voyous : s’ils ne veulent plus s’embêter à faire de la gestion du personnel, s’ils trouvent plus commodes de se contenter de régler des factures, ce confort doit se payer au prix fort ; ils ne doivent pas gagner sur tous les tableaux. Soit ils appliquent l’annexe IV de la CCNE et salarient leurs correcteurs, soit ils respectent les règles du contrat commercial et se comportent avec leurs prestataires de service comme des clients à part entière. Ils ne peuvent pas être à la fois employeur et client. Et nous avons, chacun d’entre nous, quel que soit notre statut ― TAD multiemployeurs prenant occasionnellement des travaux en free lance ou micro-entrepreneurs à temps plein ―, la responsabilité d’enrayer cette pratique.

Entrons en résistance !

Danièle Bouilly
TAD, secrétaire à l'édition au SGLCE-CGT

 

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